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L’informatique quantique au service de l’humanité

Alexandra De Castro
Published Avr 10, 2025

Entretien avec Catherine Lefebvre, conseillère principale au Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA) pour l’Open Quantum Institute, une initiative du GESDA hébergée par le CERN.

Imaginez que nous sommes en 2035. L’informatique quantique a atteint une certaine maturité, révolutionnant les industries et résolvant des problèmes complexes à une échelle sans précédent. Les grandes entreprises s’appuient sur les systèmes quantiques pour accélérer l’innovation technologique. Mais ces progrès ont-ils été partagés équitablement ? La technologie quantique a-t-elle été utilisée pour relever les défis les plus urgents de l’humanité, tels que le renforcement de la sécurité alimentaire mondiale, l’amélioration de l’accès aux médicaments essentiels à un prix abordable et la réduction des émissions de carbone ? Ou est-elle restée entre les mains d’une minorité, creusant ainsi le fossé entre ceux qui en ont bénéficié et ceux qui en ont été privés ?

Dans le cadre de l’Année internationale de la science et de la technologie quantiques, nous avons interviewé la scientifique Catherine Lefebvre, spécialiste de l’exploration de scénarios liés à l’informatique quantique. Elle est conseillère principale auprès de l’Open Quantum Institute du Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA).

Lauréat 2025 du Prix de l’Innovation du Point.

Chez GESDA, notre travail consiste à anticiper les avancées scientifiques et technologiques des 5 à 25 prochaines années, ainsi que les défis potentiels qui en découleront, non seulement dans le domaine quantique, mais aussi dans de nombreux autres domaines scientifiques. À partir de ces défis, nous explorons les opportunités potentielles afin de nous assurer que ces avancées puissent profiter à tous, et pas seulement aux pays riches qui développent et utilisent généralement ces technologies. Avec une équipe d’experts, nous travaillons à accélérer la recherche de solutions et à les transformer en actions concrètes qui pourraient conduire à un meilleur scénario pour tous. C’est ainsi que nous avons co-créé l’Open Quantum Institute » , a expliqué Catherine.

Préoccupée par l’impact des technologies émergentes sur l’humanité, elle et ses collègues, en étroite collaboration avec des experts en recherche, en diplomatie, en industrie et en impact à travers le monde, ont lancé en octobre 2022 l’Open Quantum Institute (OQI), une initiative audacieuse visant à rendre l’informatique quantique plus inclusive et plus bénéfique pour notre société et notre planète.  » La mission de l’OQI est de promouvoir un accès mondial, équitable et inclusif à l’informatique quantique et, à travers cela, d’explorer les applications de l’informatique quantique qui pourraient bénéficier à l’humanité.  »

L’histoire nous a appris que lorsque des technologies transformatrices, telles que les réseaux sociaux ou l’intelligence artificielle, sont concentrées entre les mains d’une poignée d’acteurs, les conséquences peuvent être profondes et imprévisibles. Aujourd’hui, à l’aube de l’ère quantique, nous nous trouvons à un tournant similaire. Si l’on examine l’informatique quantique dans une perspective internationale, on constate des disparités frappantes : de nombreux pays ne disposent pas des infrastructures, de l’expertise ou des fonds nécessaires pour participer, laissant ainsi un vaste potentiel inexploité. Si la technologie quantique devient l’apanage des nations ou des entreprises les plus riches, nous risquons d’aggraver la fracture numérique et de renforcer les inégalités mondiales.

Catherine explique avec enthousiasme comment elle s’est impliquée dans la GESDA et comment elle et ses collègues ont contribué à la création de l’Open Quantum Institute :

Je suivais une formation en diplomatie scientifique pendant la pandémie lorsque j’ai eu l’occasion de découvrir le GESDA. Grâce à mon mentor, le professeur Barry Sanders, j’ai pu rejoindre le groupe de travail sur l’initiative quantique, et peu après, mon implication s’est accrue et je suis devenu membre de l’équipe du GESDA, en tant que bénévole. Nous avons co-conçu une solution qui répondrait aux opportunités offertes par le quantique, et l’avons traduite en un institut, qui est aujourd’hui l’OQI. À l’approche de la fin de la phase d’incubation de l’OQI en 2023, nous avons confirmé que le CERN serait notre partenaire pour héberger l’institut et l’aider à se développer pendant les trois années de la phase pilote, avec le soutien d’UBS. [la banque suisse UBS Group AG]. Nous avons officiellement lancé nos activités au CERN en mars 2024 et nous célébrons aujourd’hui le succès de cette première année pilote ! »

Alors, quelle est exactement la mission de l’Open Quantum Institute, et quelles mesures ses parties prenantes prennent-elles ? Catherine répond à ces questions avec clarté et perspicacité.

91e Congrès Acfas à Ottawa, mai 2024 – Panel sur la diplomatie scientifique.

Un avenir quantique prometteur pour tous repose sur quatre piliers d’activité

Premier pilier d’activité : accélérer les applications au service de l’humanité

Le premier pilier des activités de l’OQI consiste à explorer les applications. Nous utilisons le cadre des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies et au-delà pour explorer les domaines dans lesquels les approches de l’informatique quantique pourraient être appliquées à des problèmes pertinents qui contribueraient à accélérer la réalisation des ODD. Pour cela, nous avons constitué des équipes multidisciplinaires composées d’experts en informatique quantique, d’experts en la matière et d’organisations des Nations unies ou de grandes ONG du monde entier afin d’explorer les cas d’utilisation potentiellement efficaces de l’informatique quantique.

Deuxième pilier d’activité : l’accès pour tous

Une fois que les cas d’utilisation ont atteint une maturité suffisante, nous collaborons avec des partenaires industriels qui font don de crédits pour la mise en œuvre sur des appareils quantiques : d’abord sur des simulateurs, puis sur des QPU [unités de traitement quantique]. C’est le deuxième pilier : se concentrer sur l’accès.

Troisième pilier d’activité : Renforcer les capacités

« Le troisième pilier d’activité se concentre sur la manière de se développer à l’échelle mondiale, d’accompagner les régions peu desservies par la technologie quantique dans leur transition vers le quantique et, à terme, de participer à l’exploration de cas d’utilisation basés sur leurs propres défis locaux. Cela vise à accroître l’inclusivité et l’accès équitable grâce à des activités de formation et de perfectionnement.

L’année dernière, nous avons lancé un consortium éducatif avec plusieurs prestataires de formation universitaire et industrielle afin de partager les meilleures pratiques, de rassembler des ressources et de les rendre accessibles aux zones géographiques ciblées, à savoir l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine.

En collaboration avec les membres du consortium éducatif, l’OQI aide les organisations locales à mettre en place des activités éducatives, telles que des hackathons. Par exemple, un hackathon soutenu par l’OQI sera organisé à Ghana en juillet, et plusieurs autres en Grèce, en Égypte, en Thaïlande, etc., en 2025 et 2026. De plus, nous recherchons des programmes de mentorat et de stages contribuant à renforcer les capacités de connaissances à l’échelle mondiale.

Quatrième pilier d’action : Activer la gouvernance multilatérale pour les ODD

« Les autres publics cibles de l’OQI en matière d’éducation sont les diplomates, les ambassadeurs et les décideurs politiques. Cela renvoie au quatrième pilier, qui concerne la gouvernance et la diplomatie scientifique. En fournissant aux diplomates des informations scientifiques sur ce qu’est la quantique, où nous en sommes en termes de développement technologique, quels sont les défis potentiels et les implications géopolitiques, nous offrons une plateforme neutre multipartite pour favoriser un dialogue multilatéral dans le but d’accélérer une approche efficace en matière de gouvernance.

Nous avons conçu un jeu intitulé « Quantum Diplomacy Game », qui est une simulation sous forme de jeu de rôle visant à plonger les participants dans l’anticipation des implications géopolitiques de l’informatique quantique et à explorer activement la gouvernance multilatérale. Ce jeu a été testé à Washington et à l’Université technique de Munich au début de cette année et sera « joué » aux Philippines, au Costa Rica, etc. pendant la phase pilote de l’OQI.  »

Q2B Silicon Valley, décembre 2024. Table ronde sur le quantique et la durabilité.

Relever les défis persistants pour garantir une technologie quantique au service du bien commun et pour tous

Alors que Catherine réfléchit à la nature collaborative du travail de l’Open Quantum Institute, elle souligne les principaux défis auxquels ils sont confrontés : combler les lacunes en matière d’expertise et de communication entre les différents acteurs et les différentes zones géographiques.

L’un de nos grands défis réside dans la traduction. Je vais vous donner un exemple concret de développement de cas d’utilisation. Comme il s’agit d’équipes multidisciplinaires, nous devons constamment trouver un moyen de parler un langage commun pour que la collaboration entre, par exemple, les experts en informatique quantique et les experts du domaine soit efficace.

Un autre défi consiste à améliorer les compétences des chercheurs et des développeurs qui souhaitent participer en apportant des idées pour mener à bien un cas d’utilisation. Nous avons développé une méthodologie rigoureuse pour guider les participants de la conception à la validation du concept, afin que des cas d’utilisation solides puissent déboucher sur une mise en œuvre sur des ordinateurs quantiques à l’avenir. À l’heure actuelle, trop peu de participants issus de régions peu desservies par la technologie quantique ont le niveau requis pour contribuer de manière significative à l’élaboration de cas d’utilisation solides. Il reste donc beaucoup à faire pour l’OQI et ses collaborateurs. Telle est la réalité, qui confirme la nécessité de nos activités de formation.

Si ces défis soulignent la complexité de la mise en place de cas d’utilisation quantiques inclusifs et de haute qualité, Catherine insiste sur l’importance de favoriser la collaboration par la rigueur, la résilience et la résolution pratique des problèmes.

Nous devons être réalistes : personne n’apprend la physique quantique du jour au lendemain, et tout le monde n’a pas besoin de connaître en profondeur l’informatique quantique. Lorsque l’on explore des cas d’utilisation, il est important de faire appel à des experts locaux qui connaissent les défis et les réalités de leur région, afin que ces cas d’utilisation puissent avoir un impact réel, en particulier dans les communautés et les régions défavorisées. Par exemple, dans certaines régions, les populations souhaitent s’impliquer activement dans la prévention des catastrophes naturelles et savoir comment prédire les inondations avec plus de précision grâce à l’informatique quantique. C’est un problème réel en Malaisie, par exemple, qui leur tient particulièrement à cœur. Chez OQI, nous soutenons le développement de cas d’utilisation qui auront un impact significatif et collaborons avec les populations locales afin que cet impact puisse bénéficier aux pays touchés. .”

Atelier technique de l’OQI sur les approches quantiques lors du sommet GESDA, octobre 2024 Crédit : Marc Bader.

La passion pour la science et la collaboration comme motivation pour favoriser les changements mondiaux

L’approche OQI reflète plus qu’une simple stratégie : elle témoigne des valeurs qui ont guidé Catherine depuis ses débuts. Elle n’est pas seulement motivée par la technologie en soi, mais aussi par la collaboration mondiale qu’elle peut favoriser et les défis mondiaux qu’elle peut permettre de relever. Une passion profonde pour la science quantique et une forte conviction dans le pouvoir de la collaboration ont façonné le parcours professionnel de cette femme remarquable dans le domaine de la quantique depuis son plus jeune âge.

À l’âge de six ans, j’ai décidé que je voulais devenir chimiste, même si à cet âge-là, je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait ! Au cours de mes études de premier cycle, j’ai découvert que je détestais les laboratoires de chimie expérimentale. Heureusement, j’ai rapidement trouvé un cours sur la mécanique quantique appliquée à la chimie et je me suis dit : « Ça y est, c’est ça que je veux apprendre ». J’ai fini par faire un doctorat en chimie théorique et physique moléculaire. J’ai ensuite travaillé comme chercheuse pendant plusieurs années. Outre la physique quantique, ma passion pour la collaboration s’est développée depuis mes années de doctorat. Ma thèse de doctorat était en cotutelle entre deux universités, au Québec et à Paris, et j’ai appris à établir des ponts entre les départements de chimie et de physique de deux pays différents. En tant que théoricienne, j’ai également participé à des collaborations multinationales avec des expérimentateurs. Le fait d’être exposée à différentes cultures scientifiques et à différentes approches de la science a été merveilleux. Cette exposition précoce a nourri ma passion pour la collaboration et a façonné mon rôle et ma carrière de chercheuse, et m’a conduite à la diplomatie scientifique. .”

Même si 2035 n’est pas si loin, l’informatique quantique en est encore à ses balbutiements. L’avenir est grand ouvert, ce qui signifie que nous avons une occasion unique de contribuer à façonner son avenir pour le bien de tous. Et tout le monde peut y participer.

« Pour participer à la diplomatie scientifique sur le terrain, comme nous le faisons à l’OQI dans le domaine de l’informatique quantique, il n’est pas nécessaire d’être un expert en quantique. Pour les non-initiés, c’est l’occasion de se tenir informé des avancées scientifiques et de participer activement à la construction de l’avenir grâce au dialogue et aux échanges entre scientifiques et décideurs. »

Si l’OQI se concentre principalement sur l’informatique quantique, d’autres technologies quantiques émergentes pourraient également contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Il est essentiel que les diplomates et les organisations telles que la GESDA restent attentifs à ces évolutions. »Mon message à tous est qu’il est important d’être curieux, de comprendre l’importance de la coopération à la croisée de la science et de la diplomatie. Nous avons cette formidable opportunité de mettre la technologie quantique au service de l’humanité tout entière, c’est maintenant qu’il faut agir. .”

Image vedette par Marc Bader.

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